Présentation : les 36 Poètes Chinois du Shisendô

Liste des 36 poètes

 

pairs-shisendo-final-01

J’ai trouvé chez un bouquiniste de Kyôto une édition de l’époque Edo (chaque page est imprimée à partir d’une gravure sur bois) du Wakan rōeishū-和漢朗詠集 : une anthologie de poèmes chinois et japonais compilée par Fujiwara no Kintō-藤原公任 (966-1041) vers 1013, utilisée par la suite comme manuel scolaire.

36詩仙 - 00 - 和漢朗詠集-wakan rôeiji

「梶の葉を朗詠集の栞かな」(与謝蕪村)
« Une feuille de mûrier, marque-page pour le rôeishû, kana » (Buson)

Il y a quelque chose de poignant à savoir que cette anthologie a été conçue pour que chaque paire de poèmes (chinois / japonais) soit chantée sur la même mélodie. Et que ces mélodies soient désormais perdues.

Il est aussi intéressant de noter que Fujiwara no Kintō-藤原公任 est l’auteur de la liste des des Sanjūrokkasen-三十六歌仙, les trente-six poètes japonais (歌) « illustres » (仙) de la période Heian.

Mon livre contient plusieurs séries d’illustrations dont une liste avec portraits de trente-six « 唐詩仙-tôshisen » : trente-six poètes chinois (詩) « illustres » (仙) de la période Tang (唐). Or il s’avère que les premiers poètes de la liste sont de la période Han-漢 et les derniers, Song-宗. 唐詩仙-tôshisen relève donc une d’appellation inexacte. Cette erreur d’édition a probablement pour origine la conflagration avec une anthologie célèbre de poèmes tang homonyne : 唐詩選-tôshisen (sen : 選 / 仙).

Cette liste de 36 poètes chinois illustres a été créée par le fondateur du Shisendô-詩仙堂 à Kyôto, Ishikawa Jôzan-石川丈山 (1583–1672), en consultation épistolaire de 1641 à 1643 avec le fils de Hayashi Razan-林羅山 (1583-1657), Hayashi Morikatsu-林守勝, sur le modèle des Sanjūrokkasen-三十六歌仙. Ils auraient eu des divergences de vue pendant cette sélection sur le point suivant : faut-il sélectionner les poèmes sur leurs valeurs esthétiques (point de vue de Morikatsu) ou bien se soucier avant tout de la probité morale, de la belle âme du poète (point de vue de Jôzan qui est aussi celui de la tradition chinoise). Les poètes sont appariés sur la base de leur caractère. Jôzan et Morikatsu étaient initialement d’accord sur le choix de 7 pairs.

Et de la même façon que les Sanjūrokkasen-三十六歌仙 (gravés également dans mon livre) ou les poètes du Hyakunin isshu-百人一首  sont généralement représentés en portrait imaginaire peints sur des shikishi-色紙 (papier cartonné) ou des paravents pour décorer une pièce, Ishikawa Jôzan-石川丈山 a commandé à Kanō Tannyū-狩野探幽 (1602-1674), une série de peintures calligraphiées en reishô-隸書体 pour cette liste afin d’orner la pièce centrale du Shisendô-詩仙堂. Cette pièce lui a donné son nom actuel (le « bâtiment des poètes chinois »).

Le partage des portraits de mon livre m’a conduit à me renseigner davantage sur ces poètes et à explorer les textes présents au Shisendô-詩仙堂.

L’intérêt de l’étude de cette liste est triple :
– Comprendre quels sont les poètes chinois du 1er siècle BC au 12ème siècle considérés comme des classiques à étudier pour des Japonais du 16ème siècle (avec les enjeux d’identifications historiques, politiques sous-jacents qui priment souvent sur les enjeux esthétiques).
– Tenter de repérer en quoi ces références sont intégrées à la culture japonaise.
– Repérer les enjeux universels, tant philosophiques que poétiques, pour un Occidental au début du 21ème siècle.

Il y aurait accessoirement une étude intéressante à conduire sur les motifs et les formes des vêtements, parures et accessoires des portraits ainsi que sur les éléments de décor dans lesquels ils sont placés.
A noter : aucune femme dans cette liste (par comparaison aux listes japonaises).

Les poèmes sont ceux listés sur le site du Shisendô-詩仙堂.


Carte géographique des principaux lieux cités.


三十六詩仙 (和漢朗詠集) - poster 36 poètes chinois illustresGimmicks :

  • poésie morale et patriote : du devoir
  • jinshi (examen doctoral puis candidature à des postes avec ambition d’état, façon ENA)
  • 3 ans de deuil au décès de la mère
  • exil, départ, frontière
  • les végétaux et les paysages en place des sentiments
  • balancement entre confucianisme conservateur (élite, ambition, ordre dans le trouble) et tao-bouddhisme (: chan : réclusion, montagne, nature, compassion). C’est ce balancement qui doit parler à Ishikawa Jôzan.
  • pas de femmes
  • pas de poèmes d’amour

Iconographie :

  • Assis directement sur le sol (ni debout ni sur une chaise comme dans l’iconographie chinoise)
  • presque tous un chapeau
  • presque tous une barbe ou une moustache
  • des ongles pointus (guzheng ?)
  • des kimonos « chinois » (bouffures rondes vs angles droits des kimonos japonais)
  • quelques accessoires liés à des fonctions (baton de ministre ?)
  • sérieux profond du shisendô vs bonhommie et humour manga du Jikko-in

Pourquoi aime-t-on le Shisendô ?

Loin : ça se mérite
Calme : pas toujours le cas mais moins de monde qu’ailleurs
Proportion humaine : sensation d’une maison
Engawa : même si la vue sur la engawa, hormis l’automne n’est pas exceptionnelle, la sensation de l’absence de frontière entre intérieur protégé raffiné et extérieur naturel offre une sensation d’appaisement.


Comparaison avec les 36 歌仙 : aucune femme ! (comme dans la vie de Ishikawa…)


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