journal de sculpture terre

novembre 2023

la visite du musée nationale de séoul avec une sculpture chinoise servant de pichet me conduit à penser me donne envie de créer des souffleurs vases qui complèterait un set entier dans mon style pour une cérémonie du thé

création rapide de deux prototypes à partir de plaques de 10mn découpées au fil dans le reste de la motte de terracota (qui fendille à la cuisson pour des grosses pièces). souffleurs plus animaux qu’humains.

octobre 2023

cuisson finale des souffleurs
l’émail shino-soba crée un effet pierre fluide vraiment intéressant quelle que soit la couleur de la terre

septembre 2023

cela fait six ans que je reporte ce que j’ai pourtant envie de faire depuis que j’ai commencé la céramique : sculpter des visages

la sculpture sur bois avec dremel et fraises efficaces m’a permis de faire le premier pas cet été

toute création est confrontée, limitée ou élevée, par la question de sa destination.
dans les sociétés avec dieu(x), l’orientation est votive, célébrante, tournée vers l’arrière-monde

dans les sociétés sans dieu, la création se retrouve isolée, vouée à célébrer le créateur en témoignant de son excellence technique ou de son originalité
d’où l’obsession contemporaine de la prouesse et de l’avant-garde
l’art est devenu chemin narcissique de chimpanzé se frappant la poitrine pour impressionner
une singerie, vide, factice, infantile dans son appel permanent à une reconnaissance parentale via la renommée

ce que m’a permis de comprendre le japon, avec le thé et le nô, c’est qu’il est possible de conserver la noblesse, le rituel, la destination élevante de l’art sans croire aux arrière-mondes

pour cela l’œuvre d’art doit contenir prière, gratitude, hommage, éloge, souvenir
elle doit ajouter du bon, du bien au monde

cette destination interne n’a rien à voir avec l’art engagé : elle n’est pas un message politique, un pamphlet, un programme
elle ne peut pas être combative, même bien intentionnée, même juste, car elle ajouterait dans ce cas de la tension, de la négativité au monde
le bon, le bien qu’elle vise est proche dans son humilité, sa simplicité directe, de la tendresse d’un grand-parent pour un petit-enfant ou de l’amitié d’un enfant pour un ami

j’ai pourtant proposé ailleurs : la beauté est une femme qui jouit
est-ce que la sollicitation érotique, sexuelle d’une œuvre ne crée pas une tension du même type que celle de l’engagement politique ?
si elle est exclusivement objet et projet de libido alors oui : la beauté s’y détruit
elle n’est plus que le moyen d’un plaisir physique, la satisfaction d’une tension programmée par la génétique

la beauté est une femme qui jouit pointe le lien entre orgasme et transe
gen-玄
la transe dans laquelle nous trans-porte l’œuvre d’art nous connecte non pas à un arrière-monde, mais à ce monde-ci que nous retrouvons sous une modalité analogique, synesthésique, sans les mots
l’orgasme est ici juste le symbole de cette transe qui ne procède pas d’un interrupteur on-off mais d’un gradient à l’intensité parfois à peine perceptible

le rituel permet la transe
c’est pourquoi il est possible de croire en la prière sans croire aux dieux
et la transe ne peut pas être une expérience solitaire
ou alors elle témoigne d’une détresse, d’une solitude nocive

la transe est joyeuse quand elle nous relie
même à ceux qui ne sont plus
ou qui ne sont pas encore
c’est dans ce lien, ce tissage, relier, qu’elle est art
religion agnostique


l’intensité de sa valeur est indépendante de sa perfection formelle
une forme imparfaite peut avoir plus de valeur qu’une œuvre méritant les félicitations d’un jury technique
être capable de créer la sensation de la peau sous un voile dans le marbre blanc d’une anatomie médicalement correcte à la moindre fibre musculaire près n’est pas le signe de la beauté

enku-円空 et ses statues brutes taillées dans du bois de chauffage permet immédiatement de ressentir que les qualités formelles d’une œuvre n’ont d’intérêt pour l’appréciation qu’après l’intention
on pourrait objecter qu’une œuvre bien-intentionnée mais formellement faible ne peut pas être dite belle
oui
une œuvre doit exprimer le plus parfaitement possible son intention et cette capacité d’expression implique une habilité technique qui, si elle n’a pas besoin d’être canoniquement parfaite, doit déclencher la transe
la beauté vise la perfection de l’expression de l’intention fût-elle dans les contraintes choisies ou subies de l’imperfection

enku-円空 aurait pu choisir de créer quelques dizaines de statues polies, raffinées, fignolées
de celles qui ont si rarement une âme
son voyage en hokkaido le conduit à choisir la beauté du bois brut dans des ébauches pauvres qu’il laisse par milliers autour de lui, comme support de prières, de vœux, de soutien concret, personnalisé
et toutes sourient

commencer la sculpture certes
créer des visages certes
mais pourquoi ?

comme ces retraités qui reproduisent des jizo ou des bouddhas bien léchés, bien poncés, triple-mesurés au millimètre pour tuer le temps ?
non
je ne suis pas bouddhiste et n’est pas de penchant particulier pour le maquettisme exotique
ou l’anatomisme sportif occidental

l’expression de l’intention peut s’inspirer des formes passées, de toutes époques et origines, mais elle doit aussi exprimer le temps présent et son chemin personnel pour porter une authenticité

le masque amérindien d’un dieu souffleur de vents (souffler le bon, chasser le mauvais) qui se trouvait chez mon père à québec, associé au woodspirit ainu (américain ?), et aux figures des shamans et des rituelles magiques de grand-mère s’est proposé à moi avec évidence
je me suis lancé donc des variations de souffleurs

on pourrait objecter que tout ce qui précède est une rationalisation de bouineux médiocre incapable de concentration et de la patience requises pour atteindre une perfection formelle
et on aurait aussi raison

je conserve également le projet de kanji en 3D
ce projet est lié à un autre : la création de mon senjimon-千字文
difficulté technique lié à ce projet : la nécessité d’utiliser des armatures et l’impossibilité de cuire des pièces contenant ces fils (et l’impossibilité de les retirer facilement compte tenu de la finesse des formes) implique de trouver la technique de moule (plâtre ? silicone ?) et de produit fini (céramique ? résine ?) qui me conviendra le mieux

l’utilisation de la 3D et des imprimantes 3D, de la CNC, du laser (pour mes pièces en bois mais également pour des moules) font toujours partie de mes sujets de recherche

je recommande vivement cette vidéo pour une technique simple de tête sans armature

ce mois-ci :
– 5 souffleurs (dont un biscuité, émaillé)
– un kanji gen-玄
– un hosshin-fugen-法身普賢 (serait-ce la source de kankiten ? l’éléphant étant le symbole de fugen)
– l’armature d’une personne se laissant tomber en arrière dans la confiance qu’elle sera rattrapée