cartes

日本語



la scène a lieu
dans tous les royaumes
de toutes les époques

personnages

un prince errant
sans masque

une princesse
et son masque au sourire figé

un choeur

des musiciens

les textes sont déclamés
chantés
dansés
mimés

choeur

par une nuit de tempête
comme on en connaît deux dans sa vie
un prince trouve refuge
dans la villa isolée
d’une vallée éloignée


la princesse des lieux après lui avoir offert l’hospitalité
retourne à ses cartes
comme si l’arrivée du prince avait interrompu
un rite plus important
plus important que le ciel

le prince attend
en silence 
la fin de la cérémonie


prince
merci madame
de m’avoir ouvert la porte


les arbres tombaient près de moi
mon cheval a fui
sans toi où aurais-je passé la nuit


mes tantes et mes cousines
elles aussi tirent les cartes
je n’ai jamais compris pourquoi

dis-moi
pourquoi ce jeu
est si important pour toi

princesse 

errant
ces miroirs silencieux
ne vois-tu pas
leur beauté
es-tu donc aveugle

dans mes mains
le jeu peint par maman

regarde ses bleus
ses oiseaux ses fleurs
regarde
les visages et les âges
les motifs
et les lettres tracées d’argent


regarde les papiers
les filigranes et les bords
toutes les paillettes d’or


sens-les sous tes doigts
dans tes paumes
épaisses et fragiles
vieillissant
chaque jour avec toi

créées par qui les a aimées
transmises par amour
ces tableaux nous survivent
ou brûlent avec nos toits

qui
qui ne les aimerait pas

choeur

comme les fleurs d’un jardin
dont on a choisi chaque espèce
les cartes sont assemblées
pour résumer l’univers et la vie

chaque trait chaque couleur
sont pensés
pour ne pas trahir le tout
dans le tout petit

prince

est-ce la beauté seule alors
un art pour émouvoir 
et non pour prédire

princesse


prédire peut-être
mais la beauté d’abord

et sa communauté


celle des femmes
de tous lieux de tous temps
qui tirent leurs cartes
les lisent
les écoutent
les dessinent

ma communauté qui
dans la solitude des nuits
et des matins faibles
dans la peur 
la tempête
dans les peines
l’espoir le sang et les morts
se tiennent la main
toutes dans la même ronde


une ronde
si grande que chaque poignée
n’a la clarté que d’une étoile
dans la noirceur de l’été

faire partie
errant
je te souhaite un jour
de connaître cela

prince

la beauté et la ronde

oui les confréries d’hommes
comme les doigts d’une main
ne font jamais de ronde


mais ces cartes ne sont
ni la danse ni la peinture ni le chant
les cartes prient
appellent
et répondent

de cela
y crois-tu vraiment

princesse 

nous connaissons toutes l’effet des nuages
les formes qui s’y nouent
sont celles de nos lèvres et de nos yeux

les réponses des cartes
sont les nuages de nos voeux

nous ne sommes ni idiotes ni crédules

il n’est pas besoin de croire
à la magie
à la messagerie des dieux

prince

mais alors


choeur

il n’est besoin
que de croire en la transe


la transe est le seul sacré
le seul ici-bas sans là-bas


qui éteint le profane
allume ce sacré
la clarté

toutes les barques
dans l’orage du monde
ont besoin d’une ancre
tout ce qui flotte
a besoin de phares
d’un havre d’un port


prince

je connais la méditation
la respiration qui fait des yeux fermés
des yeux clairs


mais ce besoin régulier de phares
je ne le comprends pas

princesse
si tu ne portais pas de masque
aurais-tu besoin encore de tes cartes
pour savoir
qui tu es
ce que tu veux
ce que tu veux manger
ce que tu veux porter
ce que tu feras demain s’il fait beau

tes petits cartons
ne t’aident-il pas seulement
à alléger le poids
de ta prison de bois

montre ton visage
le monde n’est pas la nuit
et les nuits
ne sont pas toutes d’orage


dis-moi les yeux dans les yeux
si tes cartes béquilles
ne sont pas simplement les traces
de tes fracassements

「la princesse regarde le prince
retire lentement son masque
qui en révèle un autre
de désespoir figé」

princesse 

chaque masque me protège
je ne survivrai pas sans eux


je ne suis plus que ces masques
je ne sais plus qui je suis
je n’ai jamais su qui j’étais


mes cartes
me relient
à mon fantôme

prince

viens
dansons
viens

laissons nos âmes se nouer

et dans cette danse
fais le saut
plonge
trouve la force de te démasquer

「ils commencent une danse lente
de séduction et de lien
la princesse retire enfin son dernier masque」

princesse


me voici devant toi
vraie
brisée
vivante

ta danse mon errant
m’a permis de trouver l’instant libérant


je viens à toi
je viens à moi par toi

choeur

où va-t-ton quand on vient
où va-t-ton si l’on va
où va-t-ton quand on vient

princesse

seule
mon errant
je resterai perdue
invisible
dissoute
souffrante comme une chair qui n’a plus de peau

sans ta présence
sans ta danse
mon errant
je retournerai à ma ronde
tu le sais

tu vas partir
mon errant
et tu n’auras pas compris
la douleur des sans rêves
la douleur des sans voix

tu n’as pas de masque
heureuse fut donc ton enfance
tu as été aimé

mais combien de petits
sentent qu’ils ne sont
rien
dans les yeux des plus grands

choeur

tout rien appelle le masque
tout vide appelle le faux

princesse

tu sais ce que tu veux
tu sais ce que tu peux
tu as droit au désir
aux rêves
aux créations
à l’ivresse du contrôle
à la liberté de te perdre

mon errant
ta question hautaine sur nos cartes
insulte toutes celles
plus douées que toi
plus intelligentes que toi
plus fortes et plus résistantes que toi
toutes celles qui n’ont pas le luxe
d’avoir des rêves à bâtir
des vies à remplir


alors
brisées quand nous ne savons pas encore lire
nous sommes doucement réduites au sable
le sable de l’attente
ce sable le plus fin
des plages les plus fines
dont on remplit le verre des temps


les masques mon errant
sont nos vases

nos urnes funéraires


les cartes
nos mains
qui plongent dans nos cendres


choeur

comprenant enfin
le prince pleure
le prince pleure

「la princesse recueille une larme sur l’une de ses cartes
la boit
et disparaît」