消火灯星 : éteins les feux allume les étoiles

张静红 jinghong zhang, une chercheuse en anthropologie originaire de kumming, a créé un fabuleux documentaire en plusieurs parties associé à un livre sur le puerh en 2011.
ce documentaire mériterait d’être converti en noir et blanc et monté en un format « film ». il m’a fait penser à wim wenders ou chris marker.

dans la première partie du documentaire, à 6:38, on trouve une référence ressemblant à un zengo :

voici la source de la citation :

Yuan Mei (袁枚), également connu sous le nom de Yuan Zicai (袁子才), célèbre poète et gastronome de la dynastie Qing (18e siècle vers 1786) a écrit un livre de gastronomie :

随园食单 Suiyuan Shidan  

on peut trouver l’intégralité du texte sur wikisource :

https://zh.wikisource.org/wiki/隨園食單/第六節

le texte contient un court chapitre sur le thé :

【茶】

  欲治好茶,先藏好水。水求中冷、惠泉。人家中何能置驛而辦?然天泉水、雪水力能藏之。水新則味辣,陳則味甘。嘗盡天下之茶,以武夷山頂所生,沖開白色者為第一。然入貢尚不能多,況民間乎?其次,莫如龍井。清明前者,號「蓮心」,太覺味淡,以多用為妙;雨前最好,一旗一槍,綠如碧玉。收法須用小紙包,每包四兩,放石灰壇中,過十日則換石灰,上用紙蓋紮住,否則氣出而色味全變矣。烹時用武火,用穿心罐,一滾便泡,滾久則水味變矣。停滾再泡,則葉浮矣。一泡便飲,用蓋掩之則味又變矣。此中消息,間不容髮也。山西裴中丞嘗謂人曰︰「余昨日過隨園,才吃一杯好茶。」嗚呼!公山西人也,能為此言。而我見士大夫生長杭州,一入宦場便吃熬茶,其苦如藥,其色如血。此不過腸肥腦滿之人吃檳榔法也。俗矣!除吾鄉龍井外,余以為可飲者,臚列於後。

武夷茶

  余向不喜武夷茶,嫌其濃苦如飲藥。然丙午秋,余遊武夷到曼亭峰、天遊寺諸處。僧道爭以茶獻。杯小如胡桃,壺小如香櫞,每斛無一兩。上口不忍遽咽,先嗅其香,再試其味,徐徐咀嚼而體貼之。果然清芬撲鼻,舌有餘甘,一杯之後,再試一二杯,令人釋躁平矜,恰情悅性。始覺龍井雖清而味薄矣﹔陽羨雖佳而韻遜矣。頗有玉與水晶,品格不同之故。故武夷享天下盛名,真乃不忝。且可以瀹〈(音月)〉至三次,而其味猶未盡。

龍井茶

  杭州山茶,處處皆清,不過以龍井為最耳。每還鄉上塚,見管墳人家送一杯茶,水清茶綠,富貴人所不能吃者也。

常州陽羨茶

  陽羨茶,深碧色,形如雀舌,又如巨米。味較龍井略濃。

洞庭君山茶

  洞庭君山出茶,色味與龍井相同,葉微寬而綠過之,採掇最少。方毓川撫軍曾惠兩瓶,果然佳絕。後有送者,俱非真君山物矣。

  此外六安、銀針、毛尖、梅片、安化概行黜落。


[thé]

Pour bien préparer le thé, il faut d’abord bien conserver l’eau. L’eau doit être fraîche, douce comme celle de la source Hui. Mais qui, dans sa maison, peut disposer d’une station relais pour se la procurer ? Pourtant, l’eau de source naturelle ou l’eau de neige peuvent être stockées efficacement. L’eau fraîchement tirée est piquante au goût, vieillie elle devient douce. J’ai goûté tous les thés du pays : le meilleur est celui qui pousse au sommet du mont Wuyi, qui, une fois infusé, révèle une teinte blanche. Ce thé est pourtant rare, même pour les tributs à la cour, à plus forte raison pour le peuple. Vient ensuite, sans égal, le Longjing. Celui cueilli avant la fête de Qingming se nomme « cœur de lotus » ; sa saveur est trop légère, il convient donc de l’utiliser en quantité. Le meilleur est celui récolté avant les pluies, présentant une feuille droite, une feuille recourbée — d’un vert pur comme le jade. Il faut le conserver en petits paquets de papier, chaque paquet pesant quatre onces, dans une jarre calfeutrée à la chaux. Dix jours plus tard, il faut renouveler la chaux. On scelle le couvercle avec du papier : si l’air entre, la couleur et le goût se dégradent. Pour l’infusion, il faut une flamme vive, une bouilloire perforée en son centre : à la première ébullition, on verse. Si on laisse bouillir plus longtemps, le goût de l’eau change. Si on laisse l’eau reposer après ébullition, les feuilles remontent à la surface. Il faut boire à la première infusion. Si l’on couvre la tasse, le goût se transforme encore. Dans cet art, la moindre négligence rompt l’harmonie.

Le vice-gouverneur Pei du Shanxi disait un jour : « Hier, je suis passé par le jardin Sui, et j’ai enfin bu une tasse de bon thé. » Hélas ! Cet homme est du Shanxi et peut ainsi parler… Pourtant, combien de lettrés nés à Hangzhou, sitôt entrés dans l’administration, boivent du thé bouilli, amer comme une drogue, rouge comme du sang ! C’est là une manière d’engloutir, comme les ventres repus mâchent le bétel. Quelle vulgarité… Hors le Longjing de ma région, je ne reconnais d’autres thés dignes d’être bus que ceux énumérés ci-après.

Thé de Wuyi
Je n’aimais guère ce thé autrefois, lui reprochant son amertume de médicament. Mais à l’automne de l’année bingwu, lors d’un voyage à Wuyi — au pic Manting, au monastère Tianyou — moines et taoïstes rivalisèrent pour m’en offrir. Les tasses, petites comme des noix ; les théières, grosses comme un cédrat : chaque infusion ne contient même pas une once. On ne peut s’y précipiter, on hume d’abord le parfum, on goûte ensuite lentement, on boit doucement, attentif. Le parfum est vraiment subtil, l’arrière-goût, suave. Une tasse en appelle une autre ; la quiétude vient, l’orgueil s’apaise, l’âme s’ouvre et s’épanouit. Alors seulement, je compris : si le Longjing est limpide, il manque de profondeur ; si le Yangxian est noble, il n’a pas cette plénitude. Il y a là comme la différence entre jade et cristal. Voilà pourquoi le thé de Wuyi jouit d’un renom immense, et ce n’est point usurpé. Il peut être infusé jusqu’à trois fois sans perdre sa saveur.

Thé de Longjing
Le thé de montagne à Hangzhou est partout d’une belle clarté, mais le Longjing reste le plus éminent. Quand je retourne au pays pour visiter les tombes, les gardiens des sépultures m’apportent une tasse de ce thé : une eau limpide, un vert tendre — un raffinement que les riches eux-mêmes ne sauraient apprécier.

Thé de Yangxian, à Changzhou
Le thé de Yangxian est d’un vert profond, ses feuilles rappellent la langue d’un moineau ou un gros grain de riz. Sa saveur est un peu plus corsée que celle du Longjing.

Thé de l’île Junshan, dans le lac Dongting
Le thé de Junshan sur le lac Dongting, en goût et en couleur, est semblable au Longjing, mais ses feuilles sont un peu plus larges et d’un vert plus intense. Il est rare, peu récolté. Le gouverneur Fang Yuchuan m’en offrit deux flacons : ils étaient réellement d’une excellence absolue. Ceux que l’on m’a offerts ensuite n’étaient pas du véritable Junshan.

Quant aux autres — Liu’anYinzhenMaojianMeipianAnhua — je les écarte tous sans appel.


la citation « zengo » est :

釋躁平矜

怡(恰)情悅性

analyse mot à mot :

  • 釋 (shì) : relâcher, libérer, dissiper, délier
  • 躁 (zào) : agitation, impatience, irritabilité, fébrilité
  • 平 (píng) : apaiser, calmer, équilibrer, aplanir, niveler
  • 矜 (jīn) : orgueil, vanité, prétention, fierté raide, amour propre, pose de lettré

  • 恰 (qià) : convenir à, s’accorder avec, justement

attention il existe un véritable enjeu de variante textuelle pour ce caractère
la locution classique figée, attestée et définie dans les dictionnaires, est 怡

  • 怡 (yí) : réjouir, charmer, délecter, rendre joyeux

Différence entre 恰情 et 怡情 :

恰情 : s’accorder aux sentiments, convenir aux émotions
怡情 : réjouir les sentiments, charmer les émotions

la variante avec 怡 crée un parallélisme plus parfait avec 悅, les deux caractères exprimant l’idée de joie et de plaisir

  • 情 (qíng) : sentiments, émotions
  • 悅 (yuè) : réjouir, plaire, contenter
  • 性 (xìng) : nature, tempérament, caractère

les traductions peuvent donc aller de :

la quiétude vient, l’orgueil s’apaise,
l’âme s’ouvre et s’épanouit.

élimine l’agitation et l’arrogance,
apaise l’humeur et adoucis le tempérament

fais disparaître l’impétuosité et l’arrogance,
élève l’humeur et adoucis le caractère

libère de l’impatience et tempère la vanité,
harmonise les émotions et enchante l’esprit

apaise l’agitation intérieure et dissout la prétention
épouse nos humeurs et charme notre nature profonde

dissipant l’inquiétude, calmant l’arrogance,
Il touche le cœur et ravit l’âme

apaise l’agitation intérieure et dissout la prétention
délecte le cœur et épanouit la nature profonde

dissipant l’inquiétude, calmant l’arrogance,
Il enchante l’âme et comble l’être

il dissipe l’agitation et rabaisse l’orgueil,
il réjouit le cœur et met en joie la nature profonde.

il délivre de la nervosité et calme la suffisance
il apaise l’humeur et réjouit l’être tout entier

il défait l’agitation et remet l’amour-propre à niveau
il tombe juste pour les sentiments et réjouit le fond du caractère


釋躁平矜
怡情悅性

le mouvement rhétorique est très net :
premier membre : enlever (釋 / 平) ce qui est de trop en soi (躁 / 矜)
second membre : ajouter (怡 /悅) ce qui manque – une joie calme, accordée à sa propre nature (情/性)


un vrai thé ôte le surplus (agitation, pose)

et donne le juste (joie accordée à soi)


soustrais le bruit / laisse la note juste

retire l’excès / offre la mesure

jette le trop-plein / verse le nécessaire

éteins le tumulte / allume la justesse

rôde l’arête / garde le fil juste

défait le gras / conserve le nerf

écarte le superflu / recueille l’essentiel

allège la forme / accueille le sens

enlève ce qui déborde / maintiens ce qui tient

romps avec l’excès / demeures dans la mesure

dérobe le trop / révèle le vrai

soustrais ce qui gonfle / donne ce qui tient


釋躁平矜
怡情悅性

éteins les feux
allume les étoiles

消火灯星


à l’époque où écrit l’auteur, les oolongs réputés de wuyi, notamment les yancha torrifiés tels qu’ils se sont progressivement institués au 19ème siècle, n’étaient probablement pas le type de thé décrit dans ce texte : l’amertume, la profondeur sensorielle, le huigan, l’effet : tout semble décrire et s’accorder à un jeune sheng puehr !

pour qui n’a pas eu la chance de découvrir ce type de thé, dans ce type de set, la phrase peut sembler grandiloquente, caricaturale, outrée.

pour qui connait les bons puerh, ces huit caractères sont justes, joyeux, précis, adéquats

les deux fois deux termes de la formule permettent aussi de mieux comprendre et d’opposer les thés du monde :

le thé en occident, est juste une eau chaude teintée dans laquelle il faut ajouter des parfums artificiels, du sucre, du lait, du citron, pour contrer le vide de goût vaguement fumé : impossible de deviner que la matière sèche, à peine éveillante, vient de feuilles. ce thé n’enlève aucune arrogance, en ajouterait presque, façon rêve bourgeois se prenant pour la reine d’angleterre. il n’apaise pas, réchauffe tout juste des corps fragiles. il n’apporte ni joie profonde, ni reconnection à soi. impossible de comprendre alors pourquoi l’asie en fait une cérémonie, un art, une expérience spirituelle.

les très bons darjeeling, des oolongs de qualité apportent le troisième terme : de vraies joies sensorielles qui peuvent faire surgir un authentique sourire surpris sur le visage.
des thés verts de qualité, chinois ou japonais, apaisent.

chanoyu, quand il est wabicha, quand il est zencha, peut calmer l’agitation, rendre humble et même permettre de se reconnecter à soi.
mais son absence de goût, son caractère abstrait, symbolique, le fait qu’il est concentré dans les signes plus que dans les sens, ne permet pas la joie perceptive franche (le troisième terme).
et malheureusement chanoyu est rarement wabicha : c’est le plus souvent une expérience démonstrative de classe (les daimyo de sengoku puis la bourgeoisie de bonne famille d’edo et showa) où la tension créée par le devoir de connaître dans les plus petits détails un protocole arbitraire et changeant d’école en école, produit une sensation d’examen de conduite permanent.
le chanoyu contemporain annule donc souvent les deux premiers termes de la formule : le public est stressé et arrogant. et il reste dans le faux-self : la règle prévalant sur le soi juste – le quatrième terme.

un puehr sheng jeune et rustique, servi dans un set de goût, inspiré du meilleur du wabicha humble et élégant : de toutes mes expériences de thé jusqu’à présent, celle-là seule illustre les quatre termes de Yuan Zicai :
釋躁平矜
怡情悅性

éteins les feux
allume les étoiles


ce texte donne envie de visiter le temple où l’auteur a eu cette révélation :

https://maps.app.goo.gl/MKDroaAXZypGewFr8


火を消し
星を灯す

消火灯星